République centrafricaine : des enfants traumatisés par les violences affrontent leurs peurs et leur colère

Les derniers affrontements en République centrafricaine, démarrés en décembre 2020 entre groupes armés et forces étatiques, ont provoqué la fuite de plus de 180 000 personnes, en quête d’un semblant de sécurité.

Les derniers affrontements en République centrafricaine, démarrés en décembre 2020 entre groupes armés et forces étatiques, ont provoqué la fuite de plus de 180 000 personnes, en quête d’un semblant de sécurité.

Certains ont rejoint les camps de déplacés à proximité de la ville de Kaga-Bandoro1. Mais qu’ils soient fraîchement arrivés ou établis là depuis des mois, voire des années, les résidents de ces camps partagent souvent la même expérience douloureuse.

Et les récits de pillages, de viols ou d’exécutions sommaires se suivent et se ressemblent, recueillis chaque jour auprès de femmes, d’hommes, mais aussi d’enfants qui, comme leurs parents, ont un besoin vital de soutien psychologique.

En plus d’avoir perdu leur environnement familier, beaucoup d’enfants sont profondément affectés par ce qu’ils ont vu ou vécu dans leur chair. Souvent, un parent proche ou des amis sont morts.

Fabrice, 13 ans, a assisté impuissant au meurtre de son frère en 2019 : « Ils ont tiré sur mon frère. Il est tombé. Il agonisait. J'ai mal quand je repense à lui. Je dors très mal la nuit. Je fais beaucoup de cauchemars. »

Dans un pays où les services psychiatriques sont quasiment inexistants – un seul psychiatre exerce en Centrafrique –, et où le système de santé souffre d’un sous-financement chronique, les tradipraticiens2, marabouts ou féticheurs sont en première ligne pour traiter les traumatismes psychologiques. Les parents se tournent naturellement vers eux quand leur enfant est assailli de cauchemars, submergé par les images ou quand, profondément déprimé, il s’écarte de ses amis ou s’évanouit pour des raisons que l’entourage ne comprend pas.

Romaric Debas, volontaire de la Croix-Rouge centrafricaine, explique : « Principalement, il y a la peur, la tristesse, la colère. Il y a des enfants qui sont vraiment tristes et même des enfants qui refusent de parler. »

Depuis 2014 dans la région de Kaga-Bandoro, le personnel du CICR spécialisé en santé mentale a établi un dialogue autant avec les tradipraticiens qu’avec les parents pour les convaincre que l’approche traditionnelle et les soins « modernes » peuvent être complémentaires. Immédiatement, sans intervenir, ou quand l’état des enfants ne s’améliore pas malgré leurs rituels, les guérisseurs3 les adressent au CICR.

Quel que soit le cas de figure, le but est de parvenir à ce que les enfants aillent mieux, dans le respect des croyances de chacun. Et quand les parents donnent leur consentement, les thérapeutes du CICR peuvent commencer leur travail.

En répondant à un questionnaire, les parents donnent les informations nécessaires à l’évaluation de l’état psychique de leur enfant. Le suivi psychologique, assuré avec l’aide de volontaires de la Croix-Rouge centrafricaine, se fait en groupe ou en individuel dans les camps de déplacés une fois par semaine.

Les thérapeutes utilisent des contes, le dessin, des exercices de respiration, ou tout simplement la parole durant des séances individuelles à l’hôpital de Kaga-Bandoro.

Karine est une petite fille de dix ans, marquée par le déplacement forcé de sa famille et la mort récente de sa maman. Elle dit que parler avec l’équipe soignante lui fait du bien : « Je suis allée voir les gens de La Croix-Rouge qui m'ont réconfortée. Je ne fais plus de cauchemars. J’arrive à m’amuser avec les autres enfants. »

Les parents sont impliqués systématiquement dans le suivi thérapeutique. En passant un contrat oral avec eux, l’équipe soignante du CICR peut monitorer l’évolution de l’enfant. La thérapie dure en moyenne trois mois. Plus de 550 enfants résidant dans les trois camps de déplacés de Kaga-Bandoro ont bénéficié d’une thérapie en 2020.

Les besoins restent immenses, à tel point qu’aucun enfant touché par les récents déplacements de population n’a pu encore bénéficier d’un soutien psychologique. Mais les résultats obtenus sont encourageants : des parents qui habitent en ville commencent à contacter le CICR pour qu’ils acceptent leurs enfants.

Le président du CICR, Peter Maurer, était à Kaga-Bandoro le 11 février pour se rendre compte par lui-même des résultats du programme de santé mentale : « Quand pour la première fois on a réfléchi a une réponse plus englobante des problèmes de santé, on a commencé à discuter des problèmes psychiques, des problèmes mentaux auxquelles les populations en guerre sont exposées. Et je suis très encouragé de voir que maintenant les premiers programmes commencent à fonctionner. Parce qu’il est vrai que peut-être que par le passé, on a trop regardé le physique. On a regardé les plaies, on a soigné les plaies. Mais on n’a pas vu l’invisible. »

Le CICR espère que des services adéquats en santé mentale pourront être offerts par l’Etat centrafricain dans un futur raisonnable, si la violence laisse la place à la stabilité et au développement3. Pour que la société centrafricaine, enfants comme adultes, puisse enfin surmonter un trauma psychologique intense.

1Chef-lieu de la préfecture de la Nana-Gribizi avec plus de 27 000 habitants, Kaga-Bandoro a été le théâtre de tensions majeures entre 2016 et 2018. Une faible présence des autorités étatiques et des services essentiels dans la préfecture, des affrontements sporadiques et une criminalité rampante compliquent chaque jour un peu plus la vie des habitants. La violence entre éleveurs et agriculteurs demeure préoccupante. La dernière attaque concerne la localité de Ngouvouta début décembre 2020, qui s’est soldée par plusieurs morts, l’incendie et le pillage de dizaines de maisons et le déplacement de plus de 4300 personnes.

2En 2020, 90 pour cent des enfants suivis par les thérapeutes du CICR avaient eu recours à un tradipraticien.

3La République centrafricaine occupe l’avant-dernière place dans le classement 2020 des Etats par indice de développement humain (source PNUD) : la 188e place, juste avant le Niger.

Pour obtenir des informations complémentaires, veuillez contacter :

Taoffic Mohamed Touré

Relations média du CICR à Bangui

Tél. : +236 75 64 30 07 - Courriel : ttoure@icrc.org

 Halimatou Amadou

Relations média du CICR à Dakar

Tél. : + 221 781 864 687 - Courriel : hamadou@icrc.org

LISTE DES PLANS

Lieu : Kaga-Bandoro, République centrafricaine

Date : 8-11 février 2021

Durée : 7 min 53 sec 

Format : mpeg4

Caméraman : Birom Seck

Monteurs : Birom Seck/Tristan Audéoud

Production : Didier Revol

Langues : français, sango et peul

Copyright : images libres de droits

00:00:00,000 --> 00:00:09,560

Kaga-Bandoro, camp de déplacés « Minusca », marché improvisé (3 plans)

00:00:09,560 --> 00:00:21,440

Fabrice et son père, Christian,46 ans, installent une clôture. Fabrice a 13 ans. Lors d'une attaque en 2019, Fabrice assiste impuissant, aux côtés de son père, à l'exécution de son frère ainé. Aujourd'hui encore, il en fait des cauchemars et continue de dessiner cet événement tragique, des armes et du sang (3 plans)

00:00:21,440 --> 00:00:29,719

ITW Fabrice (sango - 08 sec), 13 ans, suivi au centre d'écoute de la Croix-Rouge dans le camp :

« J'ai mal quand je repense à mon grand-frère qui a été tué. Je dors très mal la nuit. Je fais beaucoup de cauchemars. »

00:00:29,719 --> 00:00:44,320

Fabrice en train de dessiner au centre d’écoute (3 plans)

00:00:44,320 --> 00:00:51,520

Soundbite Eudoxie Marida (sango - 07 sec), agente psychosociale au CICR, sadresse à Fabrice :

« Dessiner va t'aider à alléger ta tristesse. »

00:00:51,520 --> 00:00:56,000

Soundbite Fabrice (sango - 13 sec) raconte son histoire à Eudoxie :

« Ils ont tiré sur mon frère. Il est tombé. Il agonisait. »

00:00:56,000 --> 00:01:04,439

« Ils l'ont accusé de vol et sont repartis à bord de leur voiture. »

00:01:04,439 --> 00:01:11,519

Soundbite Eudoxie Marida (français - 13 sec), agente psychosociale au CICR :

« Souvent, les enfants dessinent des armes, des porteurs d'armes ou leurs véhicules.

00:01:11,519 --> 00:01:17,400

C'est petit à petit, à mi-parcours, que l'enfant commence à se sentir mieux. »

00:01:17,400 --> 00:01:28,239

Kaga-Bandoro, camp de déplacés de Mbella (3 plans)

00:01:28,239 --> 00:01:33,400

Fatimé regarde dans le vide. Fatimé (15 ans) et sa famille ont fui les violences à Bangui et se sont installées à Kaga-Bandoro, dans le camp de Mbella en 2018. A peine remise de son traumatisme d'avoir tout perdu, Fatimé doit apprendre à veiller sur son frère et ses sœurs suite au décès récent de leur père de maladie.

00:01:33,400 --> 00:01:40,760

ITW de Fatimé (peul - 14 sec), suivie au centre d'écoute de la Croix-Rouge de Mbella :

« Ce qui me rend triste c'est la mort de mon père. Il n'y a plus personne pour s'occuper de nous. »

00:01:40,760 --> 00:01:48,000

« Quand je me sens mal, je me rends au centre d'écoute. Ça m'aide à aller mieux. »

00:01:48,000 --> 00:01:50,920

Kaga-Bandoro, camp des déplacés internes de Mbella, centre d'écoute pour enfants

00:01:50,920 --> 00:01:53,719

Fatimé et sa sœur, Khadidia, regardent face caméra

00:01:53,719 --> 00:02:16,719

Hégelie, agente psychosociale du CICR, et Daoud, volontaire de la Croix-Rouge centrafricaine, font faire des exercices de respiration à Fatimé (6 plans)

00:02:16,719 --> 00:02:29,439

Fatimé apprend à sa soeur Khadidia à jouer à la corde à sauter (3 plans)

00:02:29,439 --> 00:02:33,840

ITW Maïmouna Aboubacar (peul - 16 sec), veuve, mère de Fatimé et de 3 autres enfants, déplacée interne depuis 2019 :

« Elles viennent de perdre leur papa et les pensées sombres sont revenues. »

00:02:33,840 --> 00:02:39,479

« Quand je sens qu'elles ne vont pas bien, j'envoie mes filles au centre d'écoute. »

00:02:39,479 --> 00:02:46,280

« Fréquenter le centre d'écoute les aide beaucoup. Elles écoutent les conseils et changent de comportement à la maison. »

00:02:46,280 --> 00:02:58,599

Kaga-Bandoro, camp de déplacés de Lazaré (3 plans)

00:02:58,599 --> 00:03:05,120

ITW de Jeannot Laguère (français - 24 sec), 55 ans, ancien cultivateur. Avec ses deux épouses, sa fille Karine et ses quatre autres enfants, ils ont dû fuir les violences en 2018. Après s’être cachés dans la brousse, ils arrivent au camp de Lazare, en ayant tout perdu.

 « Karine a perdu sa maman à l'âge de sept ans. »

00:03:05,120 --> 00:03:09,439

« Jusqu'à maintenant, elle ne dort pas bien la nuit, elle fait des cauchemars. »

00:03:09,439 --> 00:03:22,719

« Depuis qu'elle participe au programme de santé mentale, quand je lui parle, elle répond rapidement. Il y a un changement chez elle. »

00:03:22,719 --> 00:03:25,840

Soundbite de Jeannot à sa fille Karine (français 03 sec) : « Lis-moi la récitation que tu as apprise à l'école. »

00:03:25,840 --> 00:03:34,120

Karine (français – 15 sec)  :

« Récitation : Le paresseux.

Fainéant ! Toi qui perds ton temps à ne rien faire,

quand finiras-tu de dormir?

00:03:34,120 --> 00:03:41,199

Quel sera ton sort quand tu seras vieux ?

Je te conseille de travailler car ta vie sera meilleure. »

00:03:41,199 --> 00:03:49,080

Soundbite Karine (sango 19 sec) :

« Je vais mieux maintenant. Avant, j’étais triste et j’avais peur après la mort de ma maman. »

00:03:49,080 --> 00:03:53,919

« Je suis allée voir les gens de la Croix-Rouge qui m'ont réconfortée. Je me sens mieux. »

00:03:53,919 --> 00:04:00,240

« Je ne fais plus de cauchemars. J’arrive à m’amuser avec les autres enfants. »

00:04:00,240 --> 00:04:21,879

Karine rejoint ses amis et joue à la balançoire avec eux (4 plans)

00:04:21,879 --> 00:04:27,319

Soundbite Romaric Debas (sango 13 sec), volontaire de la Croix-Rouge centrafricaine, lit un conte à Karine dont le héros sappelle Riki :

« Et quand il dormait parfois, il faisait des cauchemars.

Les mauvais rêves faisaient très peur à Riki. »

00:04:27,319 --> 00:04:29,720

« Riki va mieux. »

00:04:29,720 --> 00:04:35,759

« Riki joue maintenant avec les autres et se promène avec son chien. »

00:04:35,759 --> 00:04:42,800

Karine rejoint ses amis pour participer à un atelier de dessin (2 plans)

00:04:42,800 --> 00:04:46,160

Karine et son dessin

00:04:46,160 --> 00:04:50,319

Un enfant isolé, au regard sombre, regarde les autres enfants dessiner.

00:04:50,319 --> 00:04:56,959

Soundbite Romaric Debas (français 01m 08 sec), volontaire de la Croix-Rouge centrafricaine :

« Principalement, il y a la peur, la tristesse, la colère. »

00:04:56,959 --> 00:05:03,240

« Il y a des enfants qui sont vraiment tristes et même des enfants qui refusent de parler. »

00:05:03,240 --> 00:05:09,079

« A travers les dessins, l'enfant s'exprime. Il peut dire ce qu'il a vécu. »

00:05:09,079 --> 00:05:15,720

« Un enfant peut dessiner une personne armée qui tue une personne. »

00:05:15,720 --> 00:05:22,360

« A force de dessiner, il dégage quelque chose qui lui fait du mal. »

00:05:22,360 --> 00:05:34,160

Soundbite Romaric Debas, volontaire de la Croix-Rouge centrafricaine :

« On doit impliquer obligatoirement les parents afin qu'ils comprennent la souffrance de leurs enfants et qu’ils nous expliquent clairement ce que l’enfant a vécu comme signes de traumatisme. »

00:05:34,160 --> 00:05:47,920

« Prenez l'exemple de l'enfant Elcana. Son père même est tradipraticien. Mais il autorise son enfant à venir vers nous afin qu’on puisse faire la prise en charge de son enfant. »

00:05:47,920 --> 00:06:06,839

Le père d’Elcana, Arthur Metefara, est guérisseur traditionnel, père de 14 enfants, déplacé depuis 2018. Il se prépare pour une consultation. Elcana l'aide à installer son matériel (5 plans)

00:06:06,839 --> 00:06:13,319

Soundbite Arthur Metefara (sango – 13 sec). Il prescrit un remède contre la tension à un patient :

« Si tu as de la tension, tu prends ce médicament, tu le fais bouillir et tu le bois. »

00:06:13,319 --> 00:06:20,240

« Tu dois te libérer de la colère qui t'habite. C'est seulement après que tu te sentiras mieux. »

00:06:20,240 --> 00:06:29,639

ITW Arthur Metefara (sango – 26 sec) :

« Elcana a participé aux activités avec les enfants au centre d'écoute du CICR. Il y a reçu des conseils qui lui ont permis de mieux se comporter. »

00:06:29,639 --> 00:06:38,600

« Aujourd'hui, si je me dispute avec ses frères ou sa mère, c'est lui qui intervient pour nous calmer. Il a apporté un changement dans la maison. »

00:06:38,600 --> 00:06:47,000

« Quand un malade vient me voir et que je vois que c'est une maladie que je ne peux pas soigner, je l'envoie à l'hôpital. »

00:06:47,000 --> 00:06:58,120

Elcana a du mal à s'exprimer. Malgré les efforts de ses parents pour le soutenir, il reste à l'écart et dessine en silence.  (3 plans)

00:06:58,120 --> 00:07:04,720

Soundbite Peter Maurer (français – 18 sec), président du CICR, le 11 février 2021, échange avec des familles déplacées de Kaga-Bandoro :

« La guerre, la violence, l'exposition à ces cruautés change quelque chose dans vos familles. »

00:07:04,720 --> 00:07:16,279

« Mais il faut aussi bien saisir toutes les plaies intérieures qui font tellement de problèmes aux individus, aux familles, aux communautés. »

00:07:16,279 --> 00:07:35,519

ITW Peter Maurer (français – 37 sec), président du CICR :

« Quand pour la première fois on a réfléchi à une réponse plus englobante des problèmes de santé, on a commencé à discuter des problèmes psychiques, des problèmes mentaux auxquelles les populations en guerre sont exposées. »

00:07:35,519 --> 00:07:41,600

« Et je suis très encouragé de voir que maintenant les premiers programmes commencent à fonctionner. »

00:07:41,600 --> 00:07:53,920

« Parce qu’il est vrai que peut-être que par le passé, on a trop regardé le physique. On a regardé les plaies, on a soigné les plaies. Mais on n’a pas vu l’invisible. »

FIN

 

 

 

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